C'est l'heure des dernières prises de positions, des dernières interviews et des derniers déplacements.
Vous trouverez ici, la dernière interview au Monde avant le second tour. Ségolène Royal y revient sur sa volonté de rénover la démocratie et de prendre en compte la France d'aujourd'hui, telle qu'elle est. A mille lieux d'un Nicolas Sarkozy, qui clame sa volonté de revenir sur Mai 68 (sait-il qu'il s'est presque passé 40 ans depuis ?) ou qui fait monter au créneau Michèle Alliot-Marie pour déclarer, toute honte bue, que Ségolène est incompétente car elle change d'avis comme de jupe.
En parlant de changer d'avis rapidement, rappelez-moi qui était Ministre de la Défense quand nous avons envoyé le Clémenceau en Inde...avant de le faire revenir ? N'avons-nous pas été la risée du monde entier ? Sans parler des quelques 11 millions d'euros gaspillés, de nos relations avec l'Inde, de la fierté des marins qui ont servi sur ce navire.
Pâle conception du débat.
Entretien de Ségolène Royal dans le Monde.
Pensez-vous que le débat avec François Bayrou a été bénéfique pour vous ?
Ségolène Royal :C'est la démocratie qui en a tiré un bénéfice. C'est un événement inédit dans l'histoire politique française qu'un candidat placé au second tour de l'élection présidentielle propose un débat avec un candidat qui n'a pas été retenu au premier tour. J'ai pris cette initiative parce que cela correspond à l'idée que je me fais de la politique. C'est cohérent avec ce que je suis, ma façon différente de faire de la politique, le constat que j'avais fait de la crise démocratique, le score de François Bayrou, les messages qu'ont envoyés ses électeurs. J'ai retenu du premier tour une confirmation de ce que j'ai entendu dans les débats participatifs : les Français ont envie que la vie politique se rénove en profondeur et que l'on puisse dépasser les antagonismes bloc contre bloc.Le débat l'a montré. Une douzaine de fois, François Bayrou a manifesté son accord avec ce que je disais. Sans renoncer à la confrontation principale entre la droite et la gauche, il y a quelque chose à inventer, j'ai senti que le moment était venu. La politique a un besoin profond de rénovation. J'ai donné un contenu et une preuve à cette rénovation.
Avant le premier tour, vous aviez une autre attitude. Comment expliquez-vous ce changement vis-à-vis du parti centriste ?
C'est vrai, je l'ai dit : l'UDF a toujours gouverné avec la droite. Et, dans les collectivités territoriales, l'UDF ne vote jamais les budgets des régions, des départements ou des mairies de gauche, même s'ils sont bons. Le scrutin majoritaire à deux tours favorise la confrontation bloc contre bloc. C'est pourquoi il y aura une part de proportionnelle dans la réforme des institutions. François Bayrou, qui l'a vu de près, a fait un constat sur l'Etat UMP, sur le bilan et sur les dérives idéologiques et langagières de Nicolas Sarkozy. La création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale, la théorie génétique pour les pédophiles, la façon dont sa campagne s'est brutalisée ont heurté une partie de l'électorat centriste.
La communauté de valeurs va du PS à l'UDF ?
Je ne parle pas de recomposition politique ou d'appareils politiques. Je ne me pose pas, pour l'instant, la question des coalitions. Si nous sommes dans des affrontements permanents 50-50, la France ne peut pas s'en sortir, se remettre en mouvement. Sur certains thèmes fondamentaux, je réussirai à sortir de cet affrontement bloc contre bloc, quel que soit le choix définitif de l'UDF en tant que parti. Sur la réforme des institutions, l'Etat impartial, nous avons une vision commune. Je ne veux plus que l'Etat soit maîtrisé par un seul parti, par un seul clan, ce n'est pas la République. Je suis la seule à avoir une vision de la réforme institutionnelle complète. Ce n'est pas le cas du côté de la droite. Elu avec 82% des voix, Jacques Chirac avait l'occasion exceptionnelle de déverrouiller la vie politique française. Il ne l'a pas fait, tous les pouvoirs sont restés concentrés. Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy est toujours président de l'UMP. Ce qui est contraire à l'esprit des institutions.
Quels signaux allez-vous envoyer à la gauche inquiète de votre évolution vers le centre ?
La gauche n'est pas inquiète car je rassemble sur la base du pacte présidentiel. Les valeurs et les idées de ceux qui m'ont soutenue ne sont pas oubliées. Je les ai tous reçus ou contactés car je veux que leur idéal et leurs bonnes idées rejoignent le pacte. Compte tenu de la situation dans laquelle la France se trouve, il faut absolument lui éviter cinq années de droite dure. Quant au vote autour de François Bayrou, il est assez varié et toutes les motivations sont d'ailleurs respectables. J'ai pris acte de cette réalité-là sans la mépriser et j'ai pris l'initiative de sortir des schémas traditionnels. Par ailleurs, j'en ai assez de ce procès permanent où lorsque l'on se parle ou l'on dialogue, on est déjà suspect. Il est temps de passer à l'âge adulte de notre démocratie.
Arlette Laguiller se détermine pour la première fois pour le candidat socialiste depuis 1981. Que lui dites-vous ?
La question de la protection de la dignité des travailleurs est centrale. C'est un beau combat qui a le mérite d'être désintéressé. Elle est populaire et estimée. J'ai cité son nom en meeting et elle a été acclamée. Les personnalités qui sont cohérentes, qui ont un idéal principal et ne lâchent pas, sont très attachantes. Je ne la voyais pas pour lui demander quoi que ce soit. Juste pour le plaisir de la rencontrer, de la remercier. Je veux une France rassemblée et pas les Français dressés les uns contre les autres. Je veux être présidente d'une France apaisée et énergique.
Vous aviez été en concurrence avec Dominique Strauss-Kahn. Il a été très absent dans votre campagne du premier tour, et puis là il est très présent. La photo de votre déjeuner en tête à tête, c'est celle de Mitterrand-Rocard en 1988 ?
Dominique est présent à mes côtés à sa demande et je m'en félicite. C'est un homme talentueux et imaginatif. Il pourrait être un très bon premier ministre, si tel est mon choix. Il n'y a pas de rapprochement de ligne entre M. Strauss-Kahn et vous aujourd'hui ? La seule ligne aujourd'hui, c'est le pacte présidentiel. Ma volonté, c'est de rassembler tous les talents autour de ce pacte. Je suis dans une démarche de sincérité et de fidélité à mes engagements, dans le respect des personnalités différentes, de leurs bonnes idées. Par exemple, j'ai confié une mission à José Bové sur la mondialisation et la souveraineté alimentaire.
Quand vous parlez du "bout de chemin" que vous allez faire ensemble avec François Bayrou, ce chemin va jusqu'où ? Jusqu'au second tour, au-delà des législatives?
Il faut respecter les étapes. Maintenant, c'est à François Bayrou de se définir. Il a dit qu'il attendait le débat mercredi pour se déterminer. Et s'il vient sur la majorité présidentielle, il fera partie de la majorité présidentielle. Comme toutes les autres forces politiques qui ont appelé à voter pour moi.
Pourriez-vous prendre François Bayrou comme premier ministre ?
Je l'ai déjà dit : par définition, je ne m'interdis rien.
Sur les retraites, les 35 heures, comment pouvez-vous concilier votre vision et celle des électeurs de François Bayrou ?
Le travail d'explication doit continuer. Je pars avec des préjugés très lourds, sous prétexte que les socialistes sont incompétents en économie et préfèrent le social. De plus, comme je suis une femme, par définition, il y a un préjugé d'incompétence, même si j'ai le soutien de toute la nouvelle école des économistes qui comptent en France et sur la scène internationale. Mon pacte réconcilie l'efficacité économique et le progrès social. C'est une vision neuve, qui suscite aussi l'intérêt des organisations syndicales de salariés que j'ai reçues. J'appelle donc les électeurs à regarder ce qu'il y a dans le pacte présidentiel que j'ai construit après une importante phase d'écoute.Lors du débat, nous avons d'ailleurs levé des ambiguïtés, puisque François Bayrou voyait dans mon programme une étatisation de l'économie. C'est tout sauf ça. L'économie de marché est une réalité incontournable. Mais je crois qu'elle a besoin d'une régulation pour éviter ses désordres. Et les entreprises y ont tout intérêt. Elles sont d'ailleurs les premières à se tourner vers l'Etat quand elles sont en difficulté. C'est l'Etat qui définit la politique fiscale. Mais les partenaires sociaux définissent la politique sociale. L'Etat a reculé pendant cinq ans sur l'investissement dans la recherche et l'innovation, c'est très grave, il va falloir au contraire en faire une priorité. Les pouvoirs publics, en redistribuant l'argent public, ont un rôle très important dans le développement économique. En même temps, je supprimerai les aides aux entreprises qui n'en ont pas besoin, pour les concentrer sur les PME qui innovent. Je souhaite débureaucratiser l'intervention de l'Etat et la cibler sur les vrais besoins.
Pensez-vous qu'il faut réduire la dépense publique ou pas ?
Oui, il faut lutter contre les gaspillages et les doubles emplois et rendre la dépense publique plus efficace. Il faut relancer la croissance et diminuer le chômage. D'abord par la confiance. J'ai un discours très moderne vis-à-vis des entreprises. Je leur dis même : faites du profit, gagnez de l'argent, à condition qu'il soit honnêtement gagné et équitablement distribué. Avancez, prenez des risques. Mais il faudra que les banques aident davantage les PME. Les entreprises manquent d'épargne. Aujourd'hui, la rente est avantagée par rapport à la rémunération du travail, y compris dans les différentes propositions faites par Nicolas Sarkozy. Je propose, au contraire, de moduler l'impôt sur les sociétés en fonction de l'utilisation des bénéfices. Tout ce qui sera réinvesti dans l'entreprise bénéficiera d'allégements fiscaux. Je veux un pacte de croissance avec les PME, le Small Business Act. Les organisations syndicales de salariés seront encouragées au compromis que je propose sur la base d'un dialogue social rénové. Du côté du Medef, c'est plus compliqué, parce que le Medef est un agglomérat de grandes banques, d'entreprises du CAC 40 et de PME qui n'ont pas toutes le même intérêt. Mais, là aussi, les choses bougent et je sais que beaucoup de patrons veulent sortir du manichéisme social. Je le vois par exemple avec les prises de position du Centre des jeunes dirigeants.
Sur les 35 heures, vous aviez porté une critique et maintenant vous dites qu'il faut les généraliser. Ce n'est pas une contradiction ?
Non. La deuxième loi sur les 35 heures était trop uniforme. Mais la diminution du temps de travail reste un objectif. En revanche, la façon dont on y parvient devra à nouveau être mise sur la table entre partenaires sociaux. Ce qui a manqué, dans l'application de la loi, c'est l'accompagnement humain. C'est aussi le faible poids des syndicats qui a permis dans certaines entreprises une application des 35 heures qui a dégradé les conditions de travail.
Allez-vous renationaliser GDF, comme le revendique la gauche ?
Ce ne sont pas des mesures de droite ou de gauche. Les enjeux ont changé. Quand on voit les problèmes énergétiques que la France et l'Europe vont devoir gérer dans les années qui viennent, les enjeux financiers considérables, cela mérite quand même un débat public. Nous avons besoin d'un grand pôle public de l'énergie.
Sur les retraites, remettez-vous en cause le principe de 42 ans de cotisation pour le salarié moyen à terme ?
La question des retraites sera totalement remise à plat. Sur la question de la durée de cotisation, il faudra prendre en compte la pénibilité et regarder de très près la question des retraites des femmes. Il y aura une discussion avec les partenaires sociaux. On ne pourra pas déconnecter la question des retraites de celle de la réussite de la lutte contre le chômage, car des emplois en plus ce sont des cotisations en plus. Il faut éviter de brutaliser la question des retraites en l'abordant comme le fait la droite et s'orienter vers des systèmes de retraite à la carte, plus souples. Il n'y aura pas de retraite couperet. En même temps, il faut garantir à ceux qui ont travaillé le plus durement d'accéder à une qualité de vie suffisante.
Faut-il modifier les règles de présentation des candidats aux élections professionnelles ?
Cette question sera traitée dans le débat sur les règles de représentativité qui seront revues. Sans brutaliser du jour au lendemain le paysage syndical. Les organisations syndicales y sont prêtes, si l'on réussit le syndicalisme de masse, soit avec un crédit d'impôt, soit avec un chèque syndical, c'est-à-dire une incitation à adhérer à une organisation syndicale. Lorsque l'on a interrogé les salariés sur la raison pour laquelle ils n'adhéraient pas à une organisation syndicale, ils ont répondu : la peur. Est-il normal que dans la France de 2007 un droit constitutionnel fasse encore peur? Non, car un pays moderne a besoin d'un bon dialogue social.
Vous parlez de la dette, mais vous n'avez pas chiffré la manière de desserrer cet étau.
La marge de manœuvre passe par la réforme de l'Etat et la clarification des compétences des collectivités territoriales. Quand j'ai interrogé José Luis Zapatero ou Romano Prodi sur la manière dont ils avaient réduit la dette de leur pays, ils m'ont répondu que c'est par une meilleure répartition des responsabilités, des compétences pour éviter des doublons, des chevauchements de financement, qu'ils y sont parvenus. Ensuite, on peut rendre plus efficace le service public. Plutôt que de dire comme Nicolas Sarkozy que l'on va supprimer un fonctionnaire sur deux – ce qui, à mon avis, n'est pas très responsable et d'ailleurs il ne l'a pas fait quand il était ministre des finances –, on peut améliorer l'efficacité du service public. Enfin, la baisse de la dette passe évidemment par la relance de la croissance. Je crois beaucoup au levier écologique. La France a pris du retard. Or les experts estiment que de un à deux millions d'emplois peuvent être créés dans ce domaine. En Espagne et en Allemagne, j'ai été surprise de voir le nombre d'emplois créés grâce à ce secteur.
Si vous êtes élue, c'est vous qui mènerez la campagne des législatives ?
Mon rôle, c'est de réunir une majorité présidentielle.
Ou bien est-ce le chef du gouvernement ou le chef du parti qui mènera cette campagne ?
Nous n'en sommes pas là. Ce qui intéresse aujourd'hui les Français, c'est le second tour de l'élection présidentielle.
Si François Bayrou prend l'option d'entrer dans la majorité présidentielle, y aura-t-il des accords, des désistements entre le PS et son parti, comme il y en avait autrefois et aujourd'hui encore entre le PS et le Parti communiste ?
Si une majorité présidentielle se constitue, ainsi qu'un gouvernement, il faudra un accord entre organisations pour constituer une majorité parlementaire, capable de mettre en œuvre le pacte présidentiel.
Avez-vous le sentiment que le PS y est prêt ?
C'est la dynamique politique qui va le définir. Là, je construis une majorité présidentielle dans la cohérence, la clarté, le respect des partenariats et les valeurs du progrès économique, social et écologique.
Vous n'êtes pas comme Nicolas Sarkozy, qui dit que tous les députés UDF qui l'auront rejoint avant le 6 mai auront l'investiture de sa majorité présidentielle.
Je laisse à d'autres ces débauchages et ces pressions. La bataille principale, elle est pour la France neuve et donc contre la droite dure, avec le bilan désastreux que le candidat sortant refuse d'assumer. C'est l'homme du passé et du passif. Il s'en prend à Mai 68 dans son discours de Bercy en oubliant que les ouvriers, qu'il découvre, ont obtenu les accords de Grenelle. Moi, je veux prendre le meilleur de chaque époque pour inventer la France de demain.
Et, demain, vous prendrez le PS ?
Ce n'est pas compatible avec la fonction de chef de l'Etat.
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