A gauche, le débat tourne ces derniers jours autours de l'engagement des intellectuels et de la place qu'ils doivent prendre dans une campagne qui les perturbe un peu. En effet, Ségolène Royal a décidé de lancer sa campagne par une phase d'écoute des idées des français.
Au travers des débats participatifs, elle a entendu ce que les experts-citoyens avaient à dire et elle souhaite poursuivre une fois élue par toute une série de mesures en faveur de la démocratie participative. Cela peut en avoir déboussolé certains.
De la même façon, les électeurs de gauche s'interrogent beaucoup sur le rôle des médias et leur place dans une campagne où, au mieux ils construisent des phases de campagne (phase Bayrou, phase vote utile, phase Le Pen, etc.) et au pire ils ont choisi un candidat.
Et bien, si vous partagez ces deux interrogations - la place des intellectuels et le rôle des médias - je vous conseille de lire la tribune de Jacques Julliard dans Libération de Lundi. Le journaliste du Nouvel Observateur y appele les intellectuels de gauche à se ressaisir et dénonce "la presse Sarko, la radio Sarko, la télé Sarko, en un mot l'empire Berluscozy".
Stimulant.
Dans la suite de la note, vous trouverez la tribune de Jacques Julliard.
Entre une extrême gauche gangrenée et un centrisme mystificateur, Royal est la seule issue.
Ségolène, bien sûr
Par Jacques JULLIARD, historien et écrivain.
Ségolène Royal s'est attaquée simultanément à deux tâches écrasantes: se faire élire présidente de la République et rénover le Parti socialiste. En vérité, elle n'avait pas le choix. Sa seule chance d'être désignée comme candidate par le PS était de s'imposer de l'extérieur et de forcer le parti. La géniale invention due à François Hollande et à Jack Lang de l'adhérent à vingt euros a introduit un couloir de circulation entre deux mondes jusque-là étrangers l'un à l'autre: celui des militants et celui des sympathisants. Le premier obéit à des règles non écrites mais contraignantes. Le parti se prend à gauche; son chef est tenu à un discours de gauche, voire gauchiste, censé rassembler le parti jusqu'au premier tour de la présidentielle; il lui est ensuite permis entre les deux tours de «s'ouvrir» sur la droite pour obtenir le surcroît de voix nécessaires à son élection; une fois élu, il lui revient de se confronter au monde extérieur, aux contraintes économiques, à l'équation parlementaire: à la réalité. Ces trois phases sont compartimentées avec soin, de sorte que le candidat essuie rituellement sur sa droite l'accusation d'incohérence, sur sa gauche celle de trahison.
Ségolène a changé cela: madame 20 euros a tenu d'emblée un discours socialement de gauche et économiquement de droite, selon le voeu de sa nouvelle clientèle. Les ambiguïtés de ce discours sont moins dues à l'insuffisante clarté de son esprit, comme on l'en accuse élégamment, qu'à la nécessité de naviguer au plus près, surveillée qu'elle est par les uns et par les autres. Mais son discours de Villepinte, où les étourdis n'ont voulu voir qu'un catalogue, a montré sa détermination à ne rien céder d'essentiel aux éléphants. Désormais, ceux-ci sont prévenus, et Sarkozy aussi: Ségolène Royal ira jusqu'au bout, sur sa propre ligne, en dépit des frustrations, des murmures et des croche-pieds.
Ce faisant, elle est dans la ligne du Léon Blum du congrès de 1946, s'adressant à la majorité mollettiste: «Vous avez peur... Vous avez la nostalgie du Parti d'avant la guerre, y compris de ses institutions... Vous êtes incapables d'imaginer une combinaison qui ne date pas d'avant-guerre, et la nostalgie vous ramène à ce passé, bien qu'il ne repose plus sur rien.»
Elle est aussi dans la ligne de l'équipée rocardienne de 1993-94 mais, à la différence de Blum et de Rocard, sa tentative est appuyée sur des couches sociales nouvelles, le plus souvent extérieures au parti: des bobos, sans doute, mais aussi une clientèle beaucoup plus populaire. Se situant, selon les moments et les problèmes sur la gauche et sur la droite du parti, elle est ainsi moins vulnérable aux procès en sorcellerie.
S'il ne s'agissait que de la présidentielle, ses anciens rivaux auraient fini par se résigner à la soutenir sans réserves; mais il s'agit aussi, ipso facto, du contrôle ultérieur du parti. Les zizanies entre Ségolène et le PS, dont la démission d'Eric Besson n'est jamais que le dernier épisode, s'expliquent par cet enjeu caché, mais déterminant. Et la désignation pour sa campagne d'un nouveau conseil stratégique, où siégeront notamment DSK, Fabius et Jospin, n'y changera pas grand-chose.
Et maintenant, quelles sont les chances de Ségolène Royal? Assez sérieuses pour que chacun réfléchisse à son propre rôle et émette un vote de responsabilité plutôt que de confort. Le confort, cette douce tentation du vote pour se faire plaisir, du vote pour dorloter ses convictions, du vote pour sauver son âme, nous le connaissons bien: c'est d'aller chez les trotskistes, les écolos ou encore les alters si bouffis de leur importance qu'ils ne sont plus aujourd'hui, pardonnez-moi, que des alter ego ! Que dire de ces messieurs 2 %, de ces dames 2 % qui s'imaginaient déjà en propriétaires des 55 % de non du 29 mai 2005? Volatilisé le magot? Pas du tout! Il est parti chez Ségolène, bien sûr, Ségolène qui a voté oui, mais qui a su, depuis, incarner tout ce que le non recelait d'exaspération devant la morgue des élites. La preuve de ce que j'avance? Contre qui, je vous le demande, s'acharne donc depuis deux mois la presse Sarko, la radio Sarko, la télé Sarko, en un mot l'empire Berluscozy? Sur ces farouches ennemis du capital, sur ces révolutionnaires redoutables qui ont nom Laguiller, Besancenot, Buffet? Vous n'y êtes pas. Ceux-là, on leur tapote la joue avec condescendance. Le feu est concentré sur Ségolène. Alors un conseil : si vous ne savez pas pour qui voter, demandez-le à votre meilleur ennemi: il vous le dira, lui!
Il y a désormais un autre vote de confort: c'est le vote Bayrou. Il est sympa, Bayrou. Il a du talent, Bayrou. Il se bat bien, Bayrou. Il est comme le petit rosé de Provence que l'on vous recommande dans les paillotes: il va avec tout. La création d'une «troisième force» centriste qui ne serait ni la gauche ni la droite, tout en empruntant aux franges modérées de l'une et de l'autre, est une vieille rêverie qui remonte aux jours les plus sombres de la IVe République. Pour échapper à l'emprise des communistes, et des gaullistes, Léon Blum avait appelé en 1947 à la concentration de la gauche de la droite et de la droite de la gauche. Le résultat fut une succession de combinaisons ministérielles de plus en plus fragiles, de plus en plus tordues, de plus en plus illisibles. Tous les électeurs séduits par le vieux manège brinquebalant, où les mêmes figurines défilent indéfiniment sur le devant de la scène devraient bien s'aviser qu'une fois la pagaille et l'imposture ramenées au coeur du système politique, nous ne disposerons plus désormais d'un de Gaulle pour siffler la fin de la récréation et sauver la démocratie du génie malfaisant de la magouille politicienne. Je conclus:
1) L'extrême gauche, plus gangrenée par la politique politicienne que n'importe lequel de ceux qu'elle dénonce, a transformé l'élection présidentielle en une épreuve de classement entre «nains de jardins» (Olivier Besancenot). C'est pitié.
2) Le centrisme pointe à nouveau son faux nez mystificateur. La constitution d'une majorité centriste, sorte de gouvernement des «honnêtes gens» créerait durablement sur sa gauche et sur sa droite deux catégories de réprouvés. En rendant impossible le jeu de l'alternance démocratique, elle ne leur offrirait d'autre option que l'illégalité.
3) La candidature de Ségolène Royal véhicule avec elle un sérieux espoir de rénovation du socialisme dans un sens à la fois moderne et populaire. Par bonheur, le peuple a compris cela depuis longtemps. Si la gauche intellectuelle n'était pas affectée d'un génie particulier pour compliquer à plaisir des données très simples, elle aurait déjà réalisé à son tour que, pour éliminer Sarkozy, il faut soutenir Ségolène. Cette gauche qui ne se rend jamais, pas même à l'évidence, dispose encore de huit semaines. Je fais le pari fou que ce sera suffisant.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.